Donald Judd
La source de ma pensée est la peinture même si je ne peins pas.
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Les trois éléments essentiels de l’art plastique sont le matériel, l’espace et la couleur.
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Il n’est pas nécessaire qu’une oeuvre présente plusieurs formes à considérer, comparer, analyser, contempler tour à tour. Ce qui est intéressant c’est l’oeuvre dans sa totalité, sa qualité globale.
Un individu est un tout; et, d’une certaine façon, à l’issue d’un long processus complexe, l’oeuvre est également un tout.
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C’est une caractéristique essentielle de l’oeuvre d’art que le processus qui l’engendre, ainsi que la totalité des éléments qui la composent influent sur sa réalisation, suggérant et imposant à l’artiste d’autres idées, d’autres qualités. Les idées de l’artiste, les qualités qu’il désire donner à son oeuvre, les matériaux utilisés et les techniques s’influencent et se construisent les uns les autres. Un rouge donné semble posséder une qualité particulière, qui lui est propre. Employé dans une oeuvre il conserve cette qualité spécifique qui, cependant, est altérée, amplifiée par le contexte. Sa qualité originelle peut avoir suggéré, dès le départ, une telle altération. L’idée, la qualité souhaitée ont pu exiger l’emploi de ce rouge-là.
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J’ai toujours détesté que l’on sépare la forme et le fond; et jamais je n’ai su quoi répondre lorsqu’on me demandait : “Quel est le sens de cette oeuvre?” et “Qu’est-ce que cela veut dire?” Il m’est apparu récemment que cette distinction irréaliste et inutile entre le fond et la forme n’est qu’un aspect de la division plus globale qu’on opère entre la pensée et la sensation. Cette dichotomie entre le fond et la forme ne s’accorde ni avec le processus interactif qui sous-tend le développement de l’oeuvre de l’art, ni avec l’expérience de la vision que peut avoir l’observateur. Elle conduit aux mêmes conceptions absurdes que la scission entre la pensée et la sensation.
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Mon travail a l’apparence qu’il a, il est à tort considéré comme “objectif” et “impersonnel”, parce que je m’intéresse d’abord et surtout à la relation que je peux avoir avec le monde de la nature, tout entier, et sous toutes ses formes. Cet intérêt - un intérêt profond - inclut aussi bien ma propre existence que l’existence de chaque chose, et aussi l’espace et le temps qui sont créés par les choses qui existent. L’art imite cette création, cette façon de définir les choses, en créant lui aussi, à moindre échelle, l’espace et le temps.
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Je n’ai jamais pu considérer mon oeuvre comme une façon de communiquer dans la mesure où je ne peux me faire une idée sur la personne avec laquelle je vais communiquer. Il est impossible de prendre en compte le public lorsqu’on commence à travailler, cela se révèle presque impossible. J’ai fait en sorte que mon travail me soit, à moi-même, intelligible, en assumant avec quelque désinvolture que si cela a un sens pour moi, cela en aurait aussi pour un autre.
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Toute oeuvre implique certaines attitudes philosophiques, sociales et politiques … pour l’essentiel, les meilleures oeuvres se créent en opposition aux principaux pouvoirs et contre beaucoup d’attitudes dominantes. Je ne vois pas comment je peux me situer en dehors de la société, ce que je souhaiterais parfois, aussi dois-je considérer que j’en fais partie. Je ne pense pas que les choses soient plus faciles ailleurs. L’alternative est d’être isolé et de ne pas pouvoir travailler. Je suppose que je peux résister aux différentes institutions et aux manoeuvres du pouvoir, et je pense résister aussi à la docilité au conformisme de ce pays.
(Fragments de Donald Judd. Ecrits 1963-1990, Daniel Lelong éditeur, Paris, 1991.)